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Le Rhône en 100 questions : 10-01 Le paradoxe de la gestion de l’eau en Camargue.

De Wikibardig
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Cette page fait partie du deuxième chapitre: "Le fonctionnement du fleuve", de l'ouvrage '"Le Rhône en 100 questions'", une initiative de la ZABR avec l'appui de toute l'équipe du Graie et soutenue par les instances qui ont en charge la gestion du fleuve.











La mobilité naturelle dans le delta du Rhône, avec les divagations des bras du fleuve, les inondations, les entrées maritimes, a été pendant longtemps contradictoire avec toute idée d’implantation humaine permanente. Dans une optique agricole, les réponses à ces contraintes se déclinent en trois grandes opérations d’aménagement qui ont débuté dès le Moyen Âge : endiguement du fleuve, drainage des marais et irrigation.
porte eau en fonctionnement

Sommaire

La Camargue a été structurée par les activités humaines


stockage du sel dans le delta du rhone
Les endiguements pour s’abriter des inondations ont eu pour effet imprévu d’accentuer la salinité des sols.

En effet, le déficit hydrique qui caractérise le delta du Rhône (500 mm de pluie et 1 000 mm d’évaporation), associé à la présence d’une nappe phréatique salée, favorisait les remontées de sel et stérilisait les sols du fait de l’absence de dilution et de limonage par les crues.


Il fallut un puissant réseau d’irrigation pour compenser artificiellement et de façon contrôlée le mécanisme naturel des crues. Ce système devint vraiment performant à partir du xixe siècle grâce à l’invention de la machine à vapeur qui permit d’établir des stations de pompage sur les berges du Rhône et d’introduire de l’eau douce dans le delta pour y développer une agriculture permanente.

Actuellement, cent cinquante trois pompes électriques introduisent 400 millions de m3 d’eau du Rhône dans le delta ; ces importants frais de mise en valeur sont rentabilisés par la riziculture.
Depuis 1953, la moitié des eaux de drainage agricole est renvoyée au Rhône, l’autre moitié étant drainée par gravité vers les grands étangs centraux de Camargue. Six bassins de collecte régulent le drainage. Les importants investissements nécessaires à cette mise en valeur expliquent la structure capitaliste de l’agriculture camarguaise et ses grandes exploitations.


La gestion salinière de l’eau était inverse de celle de l’agriculture : sur 20 000 ha de basse Camargue, l’entreprise introduisait, à l’abri de la Digue à la mer, de l’eau de mer pour produire 800 000 t/an de sel.


L’étang du Vaccarès, au centre du delta, propriété des Salins mais zone de drainage agricole, devint source de conflit. Ce conflit fut résolu en 1927 par la création de la « réserve nationale de Camargue » sur cette zone d’étangs devenue saumâtre du fait de cette gestion contradictoire de l’eau.


Biologiquement très productive, la réserve de Camargue a contribué à construire socialement la Camargue comme espace naturel. Parallèlement, au début du XXe siècle, le mouvement romantique du « félibrige » a érigé ces milieux lacustres en martyrs du progrès.
À partir de 1960, la politique d’aménagement du territoire a désigné la Camargue comme « coupure verte » entre les aménagements touristiques du Languedoc-Roussillon à l’Ouest et la zone industrialo- portuaire de Fos-sur-Mer à l’Est. En 1970, est créé le « Parc Naturel Régional de Camargue » pour protéger cet espace, défini comme naturel, des agressions humaines dont il serait menacé.


La Camargue est-elle aussi naturelle qu’on le croit ?


flamants roses
Ce bref état des lieux contient à lui seul tous les ingrédients qui nourrissent les crises que connaît la Camargue contemporaine.
Pour les surmonter, il est nécessaire de revisiter et de déconstruire bien des mythes contemporains la concernant. Le premier est fait de la segmentation habituellement opérée entre ce qui est naturel et ce qui ne l’est pas.


Les activités humaines sont importantes pour le maintien de la biodiversité
Depuis l’endiguement généralisé du delta suite aux inondations de 1856, cette « zone humide d’importance internationale » ne le serait plus sans les apports d’eau artificiels opérés par l’industrie salinière et l’agriculture irriguée. Les grands marais qui occupent les dépressions camarguaises doivent leur survie aux apports d’eau des drainages agricoles. La protection de la biodiversité passerait donc par le maintien des activités humaines souvent accusées de dénaturer la Camargue.


La variabilité naturelle et saisonnière de la Camargue a laissé la place à une variabilité spatiale économiquement organisée. Au lieu de se succéder dans le temps, les milieux tantôt adoucis par les pluies et les inondations de l’hiver, tantôt salinisés par l’évaporation estivale, se répartissent dorénavant entre milieux adoucis par l’agriculture et milieux saliniers permanents. En contre-partie, l’hydrologie de la Camargue est inversée par rapport à ses rythmes naturels, elle est plus humide en été qu’en hiver et l’eau du Rhône qu’elle reçoit est de qualité médiocre quand s’y rajoutent les intrants agricoles de la riziculture.
Pour une gestion « durable » de la Camargue, il ne s’agit plus d’opposer le naturel et l’artificiel, mais de faire en sorte que ces milieux hybrides ou « socio-naturels » soient gérés au mieux des intérêts de la vie, parce que la qualité de l’eau, des sols et de la biodiversité sont indispensables à la vie, qu’elle soit humaine ou non humaine.



Conséquences indirectes de l’arrêt de l’industrie salinière pour les flamants roses
L’industrie salinière ayant cessé ses activités en 2007, l’étang du Fangassier où se reproduisent les flamants roses chaque printemps n’a pas été mis en eau faute de pompage à la mer et, pour la première fois depuis très longtemps, il n’y a pas eu de reproduction de l’espèce en Camargue.
L’arrêt d’une activité économique, en intervenant sur la gestion de l’eau, a eu un effet négatif sur le plus célèbre symbole d’une Camargue naturelle ! Il est certain que si la riziculture connaissait le même sort, l’avifaune inféodée aux milieux doux serait elle aussi sérieusement menacée.


Revenir à l’état naturel est une utopie


roubine en hiver
L’important est de penser l’avenir en favorisant une gestion concertée de l’eau Le Parc Naturel Régional de Camargue va dans ce sens en tentant d’organiser une gestion concertée de l’eau entre toutes les parties prenantes, agriculteurs, pêcheurs, protecteurs de la nature. Pour gérer l’hydrauli-que au mieux des intérêts de tous, il existe une commission exécutive de l’eau, un projet de charte de l’eau et un projet de contrat de delta.
À contrario, les crises du Parc de Camargue, qui défraient régulièrement la chronique, sont encore révélatrices de l’affrontement récurrent entre acteurs économiques du delta et gestionnaires publics de la protection de la nature, entre producteurs et protecteurs, schéma inapte à rendre compte du fonctionnement de l’hydrosystème.
Un syndicat mixte ouvert aux acteurs économiques, a été mis en 2007. il s’inscrit dans le sens d’une gestion plus intégrée de la Camargue.



Le débat autour de la gestion des risques d’inondation doit dépasser le clivage entre naturel et artificiel.
Il est évident que la désignation des lieux comme naturels, voire paradisiaques, avait contribué à l’oubli du risque et au non entretien des digues. Les digues ont bloqué la sédimentation du delta qui devient de ce fait de plus en plus sensible aux évènements extrêmes, mais il est socialement inacceptable de revenir en arrière.



les rives de l etang de malagroy
Il convient de redonner de la mobilité au fleuve

Alors, plutôt que d’adopter une politique de grands ouvrages, c’est-à-dire d’affrontement Homme-Nature, il apparaît plus judicieux de composer en redonnant de la mobilité au fleuve, en établissant des déversoirs pour soulager les digues, en favorisant l’évacuation des eaux à la mer et en interdisant toute nouvelle implantation en zone à risque.
Le paradoxe de la gestion de l’eau en Camargue, c’est finalement que l’artificialisation a produit des milieux valorisés comme naturels par la société et que leur sauvegarde passe dorénavant par la prise en compte des activités humaines qui en sont à l’origine. C’est aussi une belle incitation à une pensée renouvelée autour de la nécessaire prise en compte des rapports Homme-Nature comme objet réunifié.



Ce qu’il faut retenir


La notion de naturel est délicate : les nombreux travaux réalisés sur la Camargue pour lutter contre les crues, concilier l’extraction du sel et les activités agricoles, ont créé un milieu sur lequel les espèces végétales et animales ont trouvé un équilibre.
La remise en cause de ces activités remet en cause l’équilibre. Au-delà d’un naturel idéalisé, l’essentiel est de définir la finalité de ces espaces dans une concertation constructive.



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