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Les réseaux européens de la recherche sur l’eau : vers plus de coordination

De Wikibardig
La Commission européenne propose un éventail de dispositifs pour accompagner la recherche et favoriser la collaboration entre les États. Une large gamme d’instruments incitatifs et de soutien vise ainsi les problématiques du domaine de l’eau, notamment en raison de la fragmentation de ce secteur entre deux types d’acteurs, ceux de la technologie et ceux de la gestion des milieux. La nouvelle initiative de programmation conjointe sur l’eau semble à cet égard montrer la voie vers une meilleure coordination entre États de la programmation de la recherche et surtout vers une intégration accrue des différentes catégories d’acteurs concernés. Les documents stratégiques produits par l’ensemble des réseaux européens présentent un panorama des grandes questions qui se posent aujourd’hui à la recherche dans le domaine de l’eau. Les défis touchent principalement à la pénurie de la ressource, aux phénomènes de sécheresse et aux polluants émergents. Le futur programme-cadre européen de recherche et d’innovation, Horizon 2020, contribuera à la mise en œuvre d'un plan d'action pour les relever.

Sommaire

Introduction

La politique européenne dans le domaine de l’eau doit répondre à des défis environnementaux cruciaux dans un contexte économique tendu. Plus d’une décennie après l’adoption de la Directive cadre sur l’eau (2000/60/CE) et en dépit de la promotion de la gestion intégrée de l’eau qui s’est développée dans son sillage, le dernier rapport publié par l'Agence européenne pour l'environnement sur « l’Environnement en Europe » montre que la reconquête de la qualité de l’eau observe un rythme trop lent pour que l’objectif d’un bon état écologique de toutes les eaux en Europe d’ici 2015 puisse être atteint avec certitude. Par ailleurs, la pénurie d’eau et la sécheresse qui atteignent un niveau critique dans certaines régions risquent de s'aggraver dans le contexte du changement climatique.

Pour relever ces défis, dont certains s’adressent à la recherche, la Commission européenne doit présenter, à la fin de 2012, un « Plan d'action pour la sauvegarde de l’eau de l'Europe » (« Blueprint for Safeguarding Europe’s Water ») qui constituera le pilier « eau » de la stratégie de l’Union européenne pour 2020, et comprendra un important volet recherche.

La Commission européenne propose déjà un ensemble de dispositifs permettant une meilleure coordination des acteurs et une plus grande intégration des différents systèmes de financement de la recherche. Bien que très divers, le champ des acteurs européens de l’eau, qu’ils soient publics ou privés, se structure progressivement sous l’impulsion de la Commission européenne et des États membres. Il en résulte une recomposition des partenariats et des réseaux et le lancement de nouvelles initiatives. Ces évolutions ont des incidences sur les politiques et les stratégies de recherche dans le domaine de l’eau.


Un dialogue renforcé entre chercheurs et acteurs

Pour prendre des décisions fondées sur la connaissance et sur l’expertise, les décideurs et les gestionnaires doivent pouvoir disposer d’un accès libre et rapide à une information scientifique actualisée, qui réponde à leurs interrogations. La mise en œuvre opérationnelle de la Directive cadre sur l’eau (DCE) a posé et continue de poser des questions  complexes, nécessitant un travail collectif permanent pour trouver des solutions scientifiques, techniques et pratiques. Consciente de ces difficultés, la Direction générale de l’environnement de la Commission européenne a développé dès 2000 une stratégie pour appuyer la mise en pratique de la DCE - « Common Implementation Strategy » (CIS). Depuis 2009, une interface science-politique (CIS-SPI) est adossée à cette stratégie. Co-animée par la Direction générale de la recherche et de l’innovation de la Commission européenne et l'ONEMA, cette interface favorise le dialogue entre chercheurs et décideurs, de manière à mieux comprendre les besoins de recherche, à identifier les recherches disponibles ou les lacunes et à améliorer la diffusion des résultats des recherches tout en promouvant leur utilisation.

Afin de coordonner les initiatives européennes et nationales en matière de recherche et d’innovation, la Commission prépare un « partenariat européen pour l’innovation » sur l’eau intitulé « Water Efficiency : Every drop counts ». Ce partenariat qui n’est ni un nouveau programme, ni un guichet supplémentaire, est axé sur l’utilisation efficace et durable de la ressource. Il a pour objectif de réunir et d’impliquer davantage les porteurs d’enjeux dans le débat sur la recherche et l’innovation dans le domaine de la gestion de l’eau, afin d’accélérer la mise sur le marché des résultats de la recherche.


Era-Net : un outil pour constituer des réseaux de recherche

En matière de recherche et d’innovation, la circulation des connaissances, les mises en réseau et la coopération internationale sont des clés de la réussite. Afin de faciliter les coopérations en Europe, la mise en réseau et le lancement d’appels à propositions de recherche communs, le 7ème Programme Cadre pour la Recherche et le Développement (2007 – 2013) a permis la création des European Research Area Networks (Era-Net),qui sont des réseaux de recherche labellisés par la Commission européenne pour une durée de 4 ans.

Sur les quatre Era-Net portant directement ou indirectement sur l'eau et qui étaient actifs en 2009, un seul perdure actuellement, les trois autres ayant évolué vers d’autres formes de partenariat. Le principal Era-Net, IWRM-Net (Integrated Water Resource Management), qui était centré sur la gestion intégrée de la ressource en eau, s’est achevé fin 2010 après cinq ans d’existence et deux appels à propositions de recherche. L’Era-Net CRUE, portant sur les inondations, et l'Era-Net SNOWMAN, centré sur la contamination des sols et sa gestion, se sont terminés en 2009 et poursuivent leurs activités, y compris le lancement d'appels à propositions de recherche, sous la forme d’un réseau autofinancé. L’Era-Net CIRCLE, axé sur les impacts du changement climatique et l’adaptation, a été renouvelé en 2010 sous forme d'un Era-Net Plus, nouvelle variante d’Era-Net bénéficiant d’un cofinancement européen.

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Ce travail en réseau a porté ses fruits. Il a permis l’apprentissage du travail en partenariat et a constitué une première étape vers une plus grande coordination des programmes de recherche au travers de l’initiative de programmation conjointe sur l’eau.

Plate-forme technologique WSSTP : un réseau industrie-recherche

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Parallèlement aux Era-Net, pour encourager les collaborations entre l’industrie et le monde de la recherche, la Commission européenne a lancé en 2004 la plateforme WSSTP (Water supply and sanitation technology platform) relative à la gestion intégrée et durable des ressources en eau : ce réseau compte aujourd’hui 61 membres et plus de 200 collaborateurs provenant de 27 pays, autour d’un agenda stratégique, qui favorise une meilleure coordination des programmes de recherche. Cet agenda recense les cinq principaux défis auxquels est confronté le secteur de l'eau et définit les besoins de recherche de long terme pour y faire face. Le travail collectif d’identification qui a permis son élaboration a permis de mettre en évidence l’importance des questions transversales :  changement climatique, objectifs fixés par « L’évaluation des écosystèmes pour le millénaire » (Millennium ecosystem assessment), eau et énergie, surveillance, etc. L’agenda stratégique de recherche fixe notamment comme objectifs prioritaires le développement des technologies peu carbonées pour la production et le traitement de l'eau, l’approfondissement des approches du « cycle de vie » et du type « bottom-up », ainsi que la coordination de tous les acteurs de la recherche publique et privée.

Pour répondre à ces objectifs, la plate-forme a mis en œuvre six « programmes pilotes », portant sur  des questions relatives au cycle de l'eau :

  • adaptation aux événements hydro-climatiques extrêmes (sécheresse et inondations) ;
  • gestion durable de l'eau en l'agriculture ;
  • gestion durable de la ressource en eau en zone urbaine et périurbaine ;
  • gestion durable de l'eau par l'industrie ;
  • atténuation du stress hydrique et promotion de la gestion intégrée de la ressource en eau dans les zones côtières ;
  • restauration des eaux de surface et des eaux souterraines par des procédés de stimulation écologique.

Labellisé Eureka en 2009, le cluster ACQUEAU a pour objectif, en liaison avec la plate-forme WSSTP, de promouvoir et de financer l'innovation et les solutions orientées vers le marché. Ce cluster s’implique dans les recherches appliquées développées dans le cadre des programmes pilotes mis en œuvre par la plate-forme.


Programmation conjointe : une recherche coordonnée sur des thématiques communes

La programmation conjointe, (en anglais « Joint Programming Initiative » : JPI) vise à coordonner les efforts de recherche des États. Les partenaires, pour l'essentiel les acteurs publics chargés de programmes incitatifs de recherche, se regroupent sur la base du volontariat et de l'intérêt mutuel à travailler ensemble.

Seize États partenaires et cinq pays observateurs se sont ainsi associés autour de la thématique de l’eau. L'intérêt de ce type de collaboration est de permettre des approches dimensionnées aux niveaux d’implication pertinents, notamment pour les problèmes transfrontaliers, mais aussi le partage de sites expérimentaux et l'élargissement des études à différents écosystèmes ou zones climatiques. Pour préciser les axes de coopération possibles et les instruments de financement disponibles, après avoir dressé une cartographie des programmes de recherche existants dans chacun des pays partenaires, l’initiative de programmation conjointe « Eau » élabore actuellement un agenda stratégique de recherche commun. A terme, l’objectif est d’harmoniser les agendas de recherche des pays partenaires, afin que chacun consacre un pourcentage de son budget de la recherche sur l’eau aux activités conjointes et fasse ainsi des économies d'échelle.

les grandes thematiques de recherche
Un premier document de réflexion stratégique (« Vision document »), intitulé « Défis de l’eau pour un monde en mutation » (Water Challenges for a Changing World), a permis d’identifier les forces motrices et les grandes tendances du secteur , les défis majeurs recensés et quelques grandes questions de recherche communes à tous les partenaires, pouvant, après avoir été précisées, faire l’objet d’une programmation conjointe. Ce document aborde aussi bien les questions technologiques que les questions liées à la gestion intégrée des ressources en eau et aux approches écologiques, et témoigne ainsi d’une ouverture notable, favorisant le dialogue entre deux univers qui s’ignoraient jusqu’ici. La composition des  instances de gouvernance de cette « JPI » sur l’eau confirme la volonté d’intégrer les porteurs d’enjeux à la démarche, particulièrement illustrée par l’association à ces instances du CIS-SPI (Common Implementation Strategy-Science-Policy Interface), de la plate-forme technologique WSSTP et du cluster ACQUEAU, un réseau labellisé Eureka réunissant entreprises et centres de recherche dédiés aux technologies de l'eau. Tous ces acteurs pourront jouer un rôle actif, tant dans la définition des besoins de recherche, que dans la diffusion et la « traduction » des résultats vers les utilisateurs potentiels.



Cinq grandes thématiques de recherche ont été identifiées dans le « Vision document » de l’initiative conjointe sur l’eau.

Une gestion équilibrée et durable des écosystèmes

La gestion des ressources en eau n’implique pas seulement la gestion des systèmes naturels, mais aussi la coordination des diverses activités humaines qui créent des besoins en eau, qui définissent l’utilisation des terres et qui génèrent les pollutions transportées par l’eau. De ces nombreuses interactions entre systèmes naturels et anthropiques découle la nécessité de développer des approches intégrées et transdisciplinaires. Dans cet esprit, la JPI identifie tous les besoins de recherche : analyse de l’influence des facteurs externes (surexploitation des nappes, événements extrêmes, intrusions salines, etc.) sur le grand cycle de l’eau, conception d’indicateurs et de modèles de surveillance et d’évaluation des risques pour mettre en place des alertes précoces, analyses de type cause/effet pour mieux identifier les solutions de restauration systémique, développement d’une ingénierie écologique  visant à capter certains polluants pour les réutiliser, renforcement de la résilience des écosystèmes, etc.

Une eau saine, enjeu vital pour la population

La qualité de l’eau est dégradée par des pollutions désormais connues et classifiées, mais aussi par de nouveaux polluants et par des pathogènes, nanoparticules, virus, hormones, produits pharmaceutiques, etc. Des recherches doivent être menées pour connaître leur comportement dans le milieu naturel, évaluer leurs effets sur la santé humaine et sur l’équilibre des écosystèmes et déterminer les processus naturels ou technologiques permettant de les éliminer.

Une industrie de l’eau compétitive

Pour que le secteur européen de l’eau conserve sa position de leader mondial et que les recherches développées puissent être transformées en opportunités économiques, les industriels de l’eau doivent mettre sur le marché des technologies innovantes, élaborées en lien avec les parties prenantes (collectivités locales, consommateurs). Les développements technologiques attendus concernent toute la chaîne de production et de distribution : stockage de l'eau, mesure, purification, traitement, dessalement, matériaux utilisés, outils de gestion, réduction de l'énergie utilisée, etc.

Une option : la fermeture du petit cycle de l'eau

L'eau douce est une ressource de plus en plus rare en certains endroits de la planète. Ce problème de pénurie pourrait parfois être résolu par un petit cycle de l'eau fermé. La demande pour les systèmes d'eau fermé est d’ores et déjà très forte dans les zones arides. Des recherches complémentaires sont nécessaires pour approfondir le concept d'empreinte "eau",  les possibilités de récupération des substances utiles ou de l’énergie, l’utilisation des capacités de recharge des aquifères, les systèmes de surveillance et de contrôle, les interactions avec les ressources naturelles, etc…  Les questions de pénurie d’eau ne relevant pas que des solutions technologiques, un volet socio-économique doit systématiquement accompagner ces recherches, afin d’explorer les questions de gouvernance, de participation, de comportement et d’engagement des parties prenantes, mais aussi le rapport coûts/avantages des différentes solutions, qu’il s’agisse de coûts et bénéfices économiques ou de de coûts et bénéfices environnementaux).

Une bioéconomie respectueuse de la ressource

Le développement de la bioéconomie, c’est à dire des activités économiques liées à la production et à l’utilisation de produits et de procédés biologiques, qui conduit à une intensification de l’agriculture pour produire plus de biomasse, d’énergie et de nourriture, risque d’accroître les pressions sur les ressources en eau. Il est donc nécessaire aussi bien de développer des systèmes de production agricole plus efficaces, moins consommateurs d’eau et d’intrants, que de mieux comprendre les effets des prélèvements d’eau de l’agriculture sur les écosystèmes et leurs conséquences sur l’approvisionnement en eau.


Cinq défis pour l’avenir

  • Faire face à l'augmentation du stress hydrique
  • Réduire l'impact des événements  extrêmes (sécheresses et inondations) susceptibles d’augmenter avec le changement climatique
  • Gérer le vieillissement des infrastructures dans les pays à revenus élevés et le manque d'infrastructures dans les pays à faibles revenus
  • Encourager le transfert de technologie de la recherche vers les utilisateurs locaux
  • Créer un cadre propice à la mise en œuvre des solutions intégrées


Des défis émergents en Europe…au Forum mondial de l’Eau

Les documents stratégiques et agendas de recherche élaborés par tous les réseaux européens ainsi constitués résultent d’une large concertation, associant scientifiques, industriels et autres porteurs d’enjeux. Les préoccupations issues de ces regards croisés donnent une idée des questions de recherche émergentes, appelées à prendre de l’ampleur dans les années à venir.

Le premier grand défi qui se pose à la recherche européenne concerne la pénurie d’eau et la sècheresse dans un contexte de changement climatique. La pénurie d’eau ne ressortant pas seulement de la disponibilité de la ressource, mais dépendant aussi de la demande sociétale, elle pose la question majeure d’une utilisation plus rationnelle et plus économe de l'eau, au travers d’une gestion intégrée de la ressource. L’autre grand défi est la connaissance des impacts sur les écosystèmes ou la santé humaine, à court terme et à longue échéance, des polluants émergents, d’origine chimique ou biologique, qui sont d’une grande diversité (antibiotiques, stéroïdes, hormones, produits cosmétiques, etc.) et dont certains sont connus pour être, ou suspectés d'être, des perturbateurs endocriniens chez l’homme. Enfin et surtout, alors que l’eau est essentielle au bien-être des populations, 884 millions de personnes n’ont toujours pas accès à l’eau potable dans le monde (ONU, Résolution 64/292), ce qui pose la question d’un développement non seulement durable, mais aussi équitable.

Le Forum mondial de l’eau, qui se tiendra en mars 2012 à Marseille, inscrira clairement les enjeux de l’eau dans l’agenda politique international. Il sera l’occasion de mettre l’accent sur les progrès accomplis et sur les axes à approfondir pour la recherche, comme de mettre en œuvre de solutions concrètes au travers des politiques et des actions des États et des acteurs, gestionnaires et scientifiques.


Pour en savoir plus :
le site de la plateforme européenne WSSTP
le site du cluster Eureka Acqueau
le site de l'Onema
le site de l'EWP
le site de l'Era-Net IWRM
le site de l'Era-Net CRUE
le site de l'Era-Net CIRCLE
le site de l'Era-Net SNOWMAN
le partenariat européen pour l’innovation sur l'eau

Auteurs : Marie Cugny-Seguin & Laurent Belanger

Cet article a été publié en mars 2012 dans la collection "le Point Sur" Recherche et Innovation du Commissariat général au Développement durable - disponible en ligne sur le site du Ministère du développement durable.


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