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Techniques de télédétection à très haute résolution : Exemple de suivi multi-source à l’échelle d’une plage sableuse

De Wikibardig

Sommaire

Contexte

Dans un contexte d'anthropisation croissante de la frange littorale, et d'intensification des risques côtiers, la mise en œuvre de politiques de Gestion Intégrée des Zones Côtières (GIZC) s'impose. Cette gestion se concrétise notamment par un suivi de l'évolution littorale, nécessitant des techniques adaptées à ce type d'environnement et permettant de mesurer les variations morphologiques mais également de mieux comprendre les processus mis en jeu. La diversité d'échelles spatio-temporelles des mécanismes de forçage hydrodynamique façonnant le littoral implique de choisir une méthode de suivi en adéquation avec la problématique d’étude. Cet article propose un exemple de méthodologie développée pour l'observation et la quantification de l'évolution morphodynamique. Multi-temporelle et multi-source, cette approche se focalise sur un suivi 3D à très haute résolution spatiale de l'interface Terre-Mer au niveau d'une plage sableuse, de l'échelle journalière à pluri-annuelle [1].

Le Site d’étude : la plage de Porsmilin

Fig. 1 : Localisation de la plage de Porsmilin.
Fig. 2 : Plage de Porsmilin vue depuis l'Est.

Située sur la commune de Locmaria-Plouzané, entre Brest et la Pointe Saint-Mathieu, la plage de Porsmilin est l'une des quatre plages sableuses de l'Anse de Bertheaume, à l'entrée du goulet de Brest. Ce site de la mer d'Iroise est suivi depuis 2003 par l'Institut Universitaire Européen de la Mer (IUEM) dans le cadre de l'Observatoire du Domaine Côtier. La plage de Porsmilin est principalement constituée de sables moyens, dont le diamètre médian (D50) est de 320 µm. La granulométrie est globalement homogène, néanmoins, localement (ligne de rivage, chenaux d'exfiltration), des sédiments plus grossiers sont présents [2]. Porsmilin est une plage de fond d'anse aux dimensions relativement restreintes (~ 200 m de large et 200 m transversalement pour un découvrement maximum de l'estran) et qui bénéficie d'une situation abritée. Du fait des falaises qui encadrent la plage à l'Est et l'Ouest, la zone d'échanges sédimentaires est naturellement contrainte et limitée à une seule interface principale (au Sud). Les phénomènes de dérive littorale sont donc négligeables. Le domaine supra-tidal se réduit à un talus dunaire de faible altitude. Des barres intertidales d'amplitude décimétrique peuvent se former ponctuellement sur les niveaux de basse mer et d’amplitude métrique sur les niveaux de haute mer. Sur la terrasse de basse mer affleurent parfois des tourbes holocènes, vestiges d’une ancienne ligne de rivage, et un cordon de galets. Jusqu'à la mise en service du sondeur multi-faisceaux (2008), le domaine sub-tidal était relativement mal connu.


Les méthodes mises en œuvre

Sur les plages sableuses, le suivi se concrétise par une étude des transferts sédimentaires, soit par traçage des éléments, soit par étude des variations morphologiques via des bilans sédimentaires. De tels bilans sédimentaires sont calculés en comparant des Modèles Numériques de Terrain (MNT) réalisés à des dates distinctes. Plus les données acquises sont précises et à haute résolution spatiale, plus les MNT sont représentatifs de la topographie effective et plus les bilans sédimentaires calculés sont précis. Cet article présente quelques méthodes mises en œuvre lors des levés effectués par l’IUEM (laboratoire Domaines Océaniques et LETG Brest - Géomer). Ces méthodes s'appuient sur des techniques de télédétection : stéréo-photogrammétrie depuis un drone hélicoptère, acquisitions au Scanner Laser Terrestre (TLS) et acquisitions au Sondeur Multi-Faisceaux (SMF) petits fonds sur les parties immergées de la plage. Pour chacune de ces techniques, ont été élaborés des protocoles spécifiques d'acquisition et de traitement des données aboutissant à la génération de Modèles Numériques de Terrain (MNT), puis de MNT différentiels diachroniques.

DRELIO V: drone hélicoptère pour la photogrammétrie

Depuis 2003, le Laboratoire Domaines Océaniques (UMR 6538, IUEM - Brest) et le Laboratoire de Géologie de Lyon (UMR 5276, Université Claude Bernard - Lyon) ont collaboré à la conception et à l'optimisation d'une série de drones topographiques baptisés DRELIO (DRone hELIcoptère pour l’Observation de l’environnement). Dans cet exemple, le levé est effectué par DRELIO V, un drone hélicoptère auto-piloté pour l’acquisition d’images très haute résolution (centimétrique). Son poids à vide est de 11 kg, autorisant une charge utile supplémentaire de 5 kg (carburant compris). Afin de limiter les vibrations et d'augmenter la stabilité en vol, la vitesse de rotation des pales a été réduite. La vitesse maximale de DRELIO V est de 70 km.h-1 pour une autonomie d’environ d’une heure. Ce système est peu dépendant des conditions aérologiques, des missions ont d'ailleurs été réalisées avec des vents de 60 km.h-1. Pour adapter DRELIO V au domaine marin, toutes les connexions de câbles ont été isolées et une couche de Teflon® le protège de la corrosion. Un auto-pilote est connecté à des capteurs de pression atmosphérique, un capteur inertiel, un capteur géomagnétique et un GPS autonome. DRELIO peut ainsi décoller de manière complètement autonome, suivre un plan de vol prédéfini (et reproductible) et atterrir. Un lien radio intégré autorise d’éventuelles communications avec la base au sol jusqu'à 10 km de distance. Toutes les deux secondes, une image est acquise par la caméra reflex embarquée (dans cet exemple, un Nikon D700 Fx à 12,1 Mégapixels avec une focale de 35 mm). Un MNT et une orthophotographie sont générés par stéréophotogrammétrie.

Scanner Laser Terrestre (TLS)

Le Scanner Laser Terrestre (TLS - Terrestrial Laser Scan) utilisé lors de ces travaux est un système LIDAR LMS-Z390i de marque RIEGL basé sur la technologie laser pulsé. La méthode par laser pulsé repose sur la mesure du temps d'aller-retour du signal pour déterminer la distance séparant l'instrument du point à mesurer. Cet exemple présente uniquement des levés scanner en mode statique. Dans ce cas, pour plus de précision, on ne mesure pas la position du TLS lui-même, mais celle de cibles réfléchissantes préalablement réparties sur la zone et qui permettent de géoréférencer le nuage de points 3D dans un repère absolu. La géolocalisation des cibles (au DGPS ou au tachéomètre) est donc une étape primordiale pour la qualité de l'acquisition.

Sondeur multi-faisceaux

Un écho-sondeur acoustique détermine la profondeur en émettant une impulsion sonore au travers d’un faisceau directionnel. La profondeur est déduite de la mesure du temps nécessaire au signal pour parcourir le trajet navire/fond/navire. Un Sondeur Multi-Faisceau (SMF) mesure simultanément des sondes selon plusieurs directions, sur toute une fauchée perpendiculaire à l'axe du bateau. Généralement, la réception de l'écho réfléchi sur le fond se fait dans l'axe du navire, perpendiculairement à l'émission, en "faisceaux croisés". L'intersection de ces faisceaux sur le fond représente la tâche d'insonification. Par rapport à un lever au mono-faisceau, la zone acquise sur le fond est donc beaucoup large et composée d'une "mosaïque" de taches d'insonification mieux résolues. Pour cette étude, les données ont été acquises par un SMF petits fonds RESON Seabat® 8101. L'émission est équi-angulaire avec un espacement de 1,5° et une fréquence de 240 kHz. La portée est de 0 à 200 m, avec une fauchée angulaire jusqu'à 150°. Par 5 m de fond, cela équivaut à une fauchée sur le fond de 17 m. Avec ses 101 faisceaux, ce SMF peut effectuer des acquisitions en petits fonds jusqu'à 15.000.000 sondes par heure.

Résultats

Pour chaque méthode de levé, un protocole de traitement spécifique a été développé afin de générer un MNT de la plage. Les MNT et orthophotographies générés par la chaîne de stéréorestitution à partir d’images drone ont une résolution spatiale de 5 cm et une précision de 10 à 20 cm. Le MNT topographique généré à partir du levé statique par Scanner Laser a une résolution spatiale de 10 cm à 1 m et une précision de l’ordre de 5 cm. Le MNT bathymétrique généré à partir de données SMF a une résolution spatiale de 1 m et une précision de 10 à 50 cm (Fig. 6).

Les données bathymétriques ont été directement acquises en RGF 93 - Lambert 93, en prenant le Zéro - IGN 69 comme référence altimétrique. Leur système de coordonnées et niveau de référence sont donc identiques à ceux des données topographiques.

Compte tenu de la haute résolution spatiale et de la grande précision des données acquises, les MNT topographiques et les MNT bathymétriques acquis simultanément peuvent être fusionnés. Cette "fusion" consiste dans notre cas à apparier les MNT dans la zone commune aux relevés topographiques et bathymétriques et à conserver les données d'origine dans les zones propres à chaque jeu en assurant une transition continue (Fig. 7). L'écart entre les deux couches au niveau de la zone de recouvrement reste faible (5 à 15cm – Fig. 8) eu égard à la précision atteinte par nos différentes techniques de suivi. Cet écart est dû à l'erreur inhérente à la mesure et au traitement des données et au fait que la morphologie de la zone intertidale ait pu changer entre l'acquisition au scanner laser (à marée basse) et l'acquisition au sondeur multi-faisceaux (à marée haute).

La nouvelle couche créée intègre donc plusieurs jeux de données multi-sources, compilant ainsi l’ensemble des informations disponibles sur la zone de manière cohérente et non redondante. En traitant conjointement des données des zones subtidale, intertidale et supratidale, on accède à une information plus exhaustive offrant une vision synoptique des transferts de matière au sein du compartiment sédimentaire.

Un suivi diachronique permet de quantifier les transferts sédimentaires. Une analyse volumétrique est réalisée via l'étude de MNT différentiels construits par soustraction de deux MNT haute résolution représentant la topographie à deux dates différentes. Cette méthode permet de localiser et de quantifier les zones d'engraissement (valeurs positives) et de démaigrissement (valeurs négatives) de la plage durant cette période. Les hautes résolutions et précisions spatiales des données permettent de limiter la propagation d'erreurs, mais les dates des deux MNT mis en jeu ont une influence significative sur le résultat. En effet, chaque structure, même ponctuelle (tant en termes d'espace que de temps) est prise en compte dans le différentiel.

Références

  1. [Jaud M. (2011). Techniques d'observation et de mesure haute résolution des transferts sédimentaires dans la frange littorale. Thèse de doctorat, Université de Bretagne Occidentale, 245 p.]
  2. [Dehouck A. (2006). Morphodynamique des plages sableuses de la mer d’Iroise (Finistère). Thèse de doctorat, Université de Bretagne Occidentale, 262 p.]



Le créateur de cet article est Marion Jaud
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