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Restauration de la continuité écologique des cours d'eau

De Wikibardig

Les enjeux et les méthodes pour rétablir la continuité écologique dans les cours d'eau présentés au travers de l'expérience de l'ONEMA.

Sommaire

Résumé


photo anguille onema

En France, plus de 60 000 ouvrages – barrages, écluses, seuils, moulins – ont été recensés sur les cours d’eau (données du référentiel national des obstacles à l'écoulement, version de mars 2010) et sont potentiellement des obstacles à la continuité écologique. La Directive Cadre Européenne sur l'eau (DCE), la Loi sur l’eau et les milieux aquatiques de décembre 2006, le Plan National de gestion pour l’Anguille* et aujourd’hui les lois Grenelle 1 et 2 avec pour objectif la mise en place d’une « trame verte et bleue » convergent vers la nécessité d’assurer la continuité biologique entre les grands ensembles naturels et dans les milieux aquatiques.
L’objectif ambitieux est le retour au bon état écologique des eaux d’ici à 2015 pour au moins deux tiers des masses d’eau de surface en France. Les différentes méthodes permettant d'aboutier à ces objectifs sont présentées au travers des expériences de l'Office National de l'Eau et des Milieux Aquatiques (ONEMA).


NB : Le Plan National de gestion pour l’Anguille a été adopté par la France en décembre 2008 conformément à la mise en œuvre du règlement européen R(CE) n°1100/2007 identifiant 1 555 ouvrages prioritaires. Plan approuvé en février 2010 par la Commission Européenne.


La continuité écologique

Notion introduite en 2000 par la DCE, la continuité écologique d’un cours d’eau est définie comme la libre circulation des organismes vivants et leur accès aux zones indispensables à leur reproduction, leur croissance, leur alimentation ou leur abri, le bon déroulement du transport naturel des sédiments ainsi que le bon fonctionnement des réservoirs biologiques (connexions, notamment latérales, et conditions hydrologiques favorables). Pour en savoir plus : cf. Article R214-109 du Code de l'Environnement.

Des obstacles qui induisent des perturbations

photo barriere infranchissable onema multi837

Les obstacles présents sur les rivières induisent des perturbations et des impacts sur la continuité écologique, plus ou moins importants selon leur hauteur, leur emplacement – de l’embouchure à la source du cours d’eau – et selon l’effet cumulé de leur succession.
Ainsi, un impact important sur le cours d’eau peut résulter d’un unique ouvrage très pénalisant tout comme du cumul le long du cours d’eau de petits ouvrages chacun éventuellement de faible impact.

L’altération de la continuité écologique est donc à étudier de manière globale, en prenant en compte le cumul des effets.
Cependant, au vu de la diversité des ouvrages et des cours d’eau, les impacts décrits ci-après ne sont pas généralisables et n’apparaissent pas dans le même temps ni de manière systématique. Leur connaissance apporte néanmoins des éléments de compréhension des différents phénomènes observables.

Des écoulements et un régime hydrologique fortement modifiés

En créant des chutes d’eau artificielles lors de la construction d’un ou de plusieurs ouvrages, la ligne d’eau et la pente naturelle du cours d’eau sont modifiées. Les eaux courantes se transforment alors en une succession de retenues d’eau stagnante, pouvant provoquer :

  • un ralentissement et une uniformisation de l’écoulement ;
  • une modification de la température ;
  • une augmentation de l’eutrophisation, représentée notamment par les proliférations algales, du fait d’un apport en éléments nutritifs (phosphore, azote…) en provenance du bassin versant et du faible renouvellement des eaux ;
  • une baisse de la quantité d’oxygène dissout dans l’eau ;
  • une diminution de la quantité d’eau à l’étiage, due à l’évaporation plus forte des eaux stagnantes en période estivale ;
  • un débit réduit à l’aval de l’ouvrage (débit réservé) ou encore de brusques variations de débits (éclusées) en cas de dérivation des eaux ;
  • une diminution de la capacité auto-épuratrice du cours d’eau (P. Namour, 1999);
  • une augmentation des hauteurs d’eau en amont de l’obstacle, accompagnée d’une immersion des berges par un élargissement plus ou moins important du cours d’eau selon la hauteur de l’ouvrage.

Lorsque ces ouvrages sont associés à une prise d’eau ou une dérivation alimentant un moulin par exemple, ils contribuent à l’uniformisation du débit du cours d’eau à un très faible niveau sur une grande partie de l’année et réduisent la fréquence des variations de débits liées en particulier aux petites crues.

Des sédiments immobilisés à l’amont de l’ouvrage

La rivière véhicule un flux continu de matériaux solides, fins ou grossiers, arrachés au bassin versant. De manière générale, l’obstacle peut entraîner un blocage du flux de sédiments et un déficit à l’aval, déséquilibrant la dynamique du cours d’eau et impactant la morphologie du lit. Transport solide et transport liquide étant naturellement équilibrés dans la dynamique fonctionnelle d’un cours d’eau, le déficit génère souvent une érosion du lit en aval de la retenue et provoque la disparition des substrats favorables à la vie et à la reproduction des espèces aquatiques. Selon l’importance du piégeage des sédiments par l’obstacle, on assiste à des phénomènes d’érosion et d’enfoncement du lit à l’aval pouvant aboutir au déchaussement de ponts et autres ouvrages d’art.

La mobilité des espèces et l’accès à leurs habitats restreints, voire condamnés

photo saumon atlantique onema
Les possibilités de déplacement des espèces sont fortement réduites en raison des obstacles à l’écoulement, plus ou moins infranchissables, et de la segmentation du cours d’eau induite par la succession d’obstacles.
Or, toutes les espèces de poissons ont besoin de circuler sur un linéaire plus ou moins long de la rivière afin d’accomplir leur cycle de vie : reproduction, alimentation, croissance... Les grandes espèces migratrices amphihalines* – Anguilles, Saumons, Aloses, Lamproies… –, qui peuvent avoir un parcours long de plusieurs centaines de kilomètres entre l’estuaire et l’amont des bassins versants, sont particulièrement concernées.
Cette progression vers les lieux de croissance ou de reproduction est de plus en plus difficile, voire totalement impossible. Il en résulte un retard ou une absence des géniteurs sur les lieux de ponte et par conséquence, une réduction du renouvellement des populations. Résultat : une nette diminution des effectifs, voire l’extinction de l’espèce1. Le Saumon sauvage, considéré comme vulnérable en France, a ainsi quasiment disparu de la plupart des grands fleuves français : Rhin, Seine, Garonne…
Enfin, la fragmentation des aires de répartition favorise l’isolement des populations. Ce cloisonnement empêche tout échange génétique entre les différents groupes d’une même espèce, augmente les risques en cas de pathologies et réduit les possibilités de fuite et d’éventuelles re-colonisations lors de perturbations accidentelles (pollutions,…).
Ces impacts influent sur l’état des populations en combinaison à d’autres facteurs anthropiques, à la pression liée à la pêche et aux évolutions globales des biotopes et des espèces.

Améliorer ou rétablir la continuité écologique

Effacer les ouvrages

L’un des moyens les plus efficaces et les plus pérennes pour contribuer à l’amélioration du fonctionnement des milieux aquatiques et à la qualité des masses d’eau est probablement l’effacement d’ouvrages. La solution de l’effacement est à préconiser pour les ouvrages aujourd’hui abandonnés, sans usage ou sans intérêt, qu’il soit économique, patrimonial ou paysager. Cette option présente en effet beaucoup d’avantages en termes de rétablissement complet de la continuité écologique et de simplicité de gestion par la suite.
L’effacement d’un ouvrage hydraulique autorisé, c'est à dire d'un ouvrages dont l'existence a fait l'objet d'un acte administratif ou d'un bien fondé en titre, peut être envisagé, à la demande du propriétaire, lorsque les frais d’entretien et de mise aux normes de l’ouvrage excèdent l’utilité de son maintien.

Une remise en état du cours d’eau avec effacement de l’obstacle peut également être envisagée par le préfet lorsque ces ouvrages hydrauliques sont incompatibles avec les enjeux environnementaux et notamment les engagements de la France relatifs à la législation européenne : DCE, Plan Anguille, espèce en danger critique d’extinction, Directive Habitat-Faune-Flore. C'est le cas notamment lorsque la présence de l'ouvrage affecte des espèces telles que l'Anguille, l'Esturgeon ou l'Apron du Rhône, classées sur la liste rouge 2008 de l'UICN (Union Internationale pour la Conservation de la Nature).

Abaisser les ouvrages

La réduction de la hauteur de l’ouvrage ou l’ouverture permanente d’une brèche localisée, associée à une amélioration de la gestion, peut aussi être envisagée comme une solution alternative dans le cas d’ouvrages conservant par exemple un intérêt patrimonial ou paysager. Cette solution peut être engagée pour des raisons techniques ou comme étape intermédiaire en prévision d’un effacement total.

Ouvrir les vannes

Lorsque l’ouvrage conserve un fort intérêt paysager ou patrimonial, l’ouverture des vannes (temporaire, périodique ou permanente selon les cas) est une solution intermédiaire intéressante. Cette solution peut notamment être prévue par le règlement des Schémas d’Aménagement et de Gestion des Eaux (SAGE).

Installer des dispositifs de franchissement

Lorsque les solutions précédentes ne sont pas envisageables et si l’objectif est la préservation de la continuité pour la migration piscicole, des aménagements permettant le franchissement de l’ouvrage par les poissons peuvent être mis en place. Cependant, ces aménagements sont souvent spécifiques à une ou plusieurs espèces, ne possèdent qu’une efficacité relative et réclament un suivi et un entretien important pour garantir leur bon fonctionnement. En dépit des progrès des techniques, de la recherche et du développement toujours en cours, le meilleur des dispositifs reste moins efficace qu’une situation sans obstacle.

  • Des techniques rendant possible la remontée des poissons
photo de passe a bassins

Pour la montaison*, les dispositifs doivent être dimensionnés afin que les conditions hydrauliques soient compatibles avec les capacités de déplacements des poissons (nage, saut, reptation). Ces capacités, variables selon les espèces, leur taille, leur état de santé, de fatigue et les conditions environnementales, obligent à proposer un large éventail de solutions.
Les passes à poissons dîtes « techniques » sont des ouvrages équipés soit de systèmes de ralentisseurs soit de successions de cloisons et bassins. A ce type d’ouvrage, il faut ajouter les dispositifs mécaniques que sont les ascenseurs et les écluses.
Les passes à poissons dîtes « naturelles » sont constituées de structures se rapprochant de radiers naturels de cours d’eau à savoir des rampes équipées de rugosité sur le fond.

  • Des techniques pour réduire le risque de mortalité lors de la dévalaison* et du retour à la mer pour les espèces amphihalines

Les solutions techniques pour la dévalaison* reposent sur des dispositifs de blocage des poissons les empêchant d’accéder aux turbines des centrales hydroélectriques (causes de blessures et de mortalités), accompagnés ensuite d’un guidage vers l’aval. Les systèmes les plus efficaces sont constitués de grilles à faible espacement de barreaux, à condition que la force du courant reste compatible avec les capacités de nage des poissons. Les barrières comportementales composées de systèmes lumineux, sonores ou électriques sont moins efficaces et beaucoup plus difficiles à contrôler et à entretenir.
Au cours des dernières années, des types de turbines ont été développées afin de limiter la mortalité des poissons (turbines ichtyo-compatibles), particulièrement des anguilles. Leur principe repose sur une faible vitesse de rotation et des formes particulières de pâles.

Ne pas intervenir

Certains seuils peuvent s’effondrer naturellement par manque d’entretien et par vétusté. Il est alors nécessaire de s’assurer de l’absence de conséquences indésirables et le cas échéant de mettre en place des mesures d’accompagnement importantes selon les enjeux.

Privilégier une gestion d’ensemble

Selon les cas, l’effacement d’ouvrage peut induire des effets secondaires indésirables : phénomènes d’érosion ou d’enfoncement du lit, reprise des sédiments de l’ancienne retenue pouvant générer un apport intense en aval, risque de disparition de la ripisylve* lié à la suppression du plan d’eau, assèchement des zones humides éventuelles connectées à l’ancienne retenue, remplacement d’un paysage de plan d’eau par un paysage de cours d’eau, etc. Des techniques de prévention peuvent cependant maîtriser ces effets secondaires1.
Il faut également prendre en compte l’ensemble des pressions et des altérations présentes sur le cours d’eau afin d’évaluer au mieux les effets prévisibles de l’effacement. La présence d’obstacles à l’écoulement est souvent associée à d’autres interventions – rectification du lit, recalibrage, protection de berges, présence d’autres ouvrages…– qui pourraient annuler ou diminuer les gains attendus par l’opération de restauration ou bien allonger le délai d’obtention des résultats.
Dans l’ensemble des cas et comme tout projet sur les milieux aquatiques, il est souhaitable de mener une étude globale sur les effets attendus par l’opération de restauration et à une échelle suffisamment importante pour prendre en compte les éléments susceptibles d’avoir un impact sur les résultats souhaités. Le choix de la technique de restauration de la continuité sera donc fonction du niveau d’ambition et du meilleur compromis ressortant de l’étude et de la concertation locale.

À Consulter

Article R214-109 du Code de l'Environnement définissant un obstacle à la continuité écologique.
P. Namour (1999). Auto-épuration des rejets organiques domestiques. Nature de la matière organique résiduaire et son effet en rivière. LYON 1, Université Claude Bernard : 164.

Des informations complémentaires sur différents sites internet
http://www.eaufrance.fr/
http://www.onema.fr/
http://www.lesagencesdeleau.fr/v2/pages/

Source complémentaire : Brochure « Pourquoi rétablir la continuité écologique des cours d'eau ? », ONEMA, mai 2010.

Glossaire

Amphihalin : poisson vivant alternativement dans les eaux douces et dans les eaux salées.
Dévalaison : descente des poissons migrateurs vers l’aval d’un cours d’eau pour rejoindre le milieu marin.
Étiage : correspond à la période de faible débit, généralement l’été pour les régimes pluviaux.
Hydromorphologie : étude de la morphologie des cours d’eau, c’est-à-dire de la forme du lit et des berges qui est façonnée par le régime hydrologique de la rivière.
Ripisylve : formations végétales qui se développent sur les bords des cours d’eau.


2 Biotec – Malavoi (2007). Manuel de restauration hydromorphologique* des cours d'eau, Agence de l'Eau seine-Normandie.Faciès


Page rédigée par Julien BANUS, Ministère de l'Écologie, du Développement Durable, des Transports et du Logement – Centre d'Études Techniques de Lyon – Département Laboratoire de Clermont-Ferrand, sur la base de la conférence donnée par Henri CARMIE, Délégation Inter-régionale de l'ONEMA, lors de la CoTITA Centre Est « L'eau : un élément précieux », à Riom, le 2 février 2012.

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